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L'apport du Qigong dans le Kung-Fu, points de rapprochement et de distinction.


Introduction :


Le Qigong a toujours semblé pour bien des pratiquants d'arts martiaux, un cousin vaguement éloigné. Pourtant, si l'on examine de plus près sa conception, l'on s'aperçoit rapidement de la proximité de ces deux pratiques et de la convergence de plusieurs de leurs objectifs.


L'un des plus grands facteurs de cette incompréhension provient du fait que nous occidentalisons souvent la pratique et que nous en gardons seulement ce qui nous intéresse, en pensant le Qigong inutile pour la pratique martiale. Cette perception s'accentue davantage encore pour les pratiquants des styles dits externes, qui ne possèdent pas les mêmes modalités d'entraînement et de pratique que les styles internes, plus en introspection. Pourtant, nombre de grands maîtres réalisés, peu importe de quel bord ils soient, attestent d'une pratique de Qigong :

  1. Sun Lutang, du Xingyi Quan, Bagua Zhang et fondateur du style Sun de Taiji Quan.

  2. Wang Xiangzhai, fondateur du Yi Quan, qui modula aussi sa pratique pour la faire évoluer vers la santé.

  3. Hu Yaozhen, maître de Xin Yi Liu He Quan, l'un des pères, si ce n'est le père du terme Qigong (avec Liu Guizhen, concepteur du Nei Yang Gong).

  4. Pei Xi Rong, grand maître du 20ème siècle, disciple de Xu Ben Shan, un des derniers grands abbés de Wudang avant la révolution culturelle.

  5. Chen Fake, maître de Taiji du style Chen, connu pour ses célèbres enroulements de la soie (Chan Si Jin).

  6. Wang Ziping, maître de Cha Quan et d'épée, entre autres, haltérophile, chirurgien en médecine chinoise et concepteur de Qigong thérapeutiques et orthopédiques.

  7. Wang jiu : Maître de Xing Yi Quan à la croisée du Xin Yi Liu He Quan, concepteur de Qigong tels que le Xing Yi Nei Gong.

  8. Shi Haideng, maître de Shaolin et du Qigong du doigt unique du Chan (Yi Zhi Chan).

  9. Ma Litang, maître de Bagua et de Qigong.

  10. Li Qingyun, herboriste et maître de Bagua....

Et la liste est évidemment bien loin d'être exhaustive.


Les distinctions d'objectifs :


Il nous faut donc définir de prime abord ces disciplines. L'art martial, ou Wushu 武術 d'un côté, et le Qigong 氣功 de l'autre. Si le premier a pour objectif de dominer autrui, le Qigong -de son ancien nom Daoyin- consiste en un exercice de l'énergie, de sa circumduction et son raffinement.


L'art martial se définit avant tout dans l'adversité. L'opposant est au centre de la pratique, puisqu'il n'y a pas d'art martial sans confrontation. L'exigence pour le Kung-Fu est donc de devenir suffisamment puissant pour vaincre et dominer. Sur un plan plus subtil, il consiste également en la maîtrise de son propre corps, et en la connaissance de celui de l'autre, de ses empêchements, son fonctionnement pour pouvoir en user techniquement. Pour prendre un exemple : connaître l'articulation d'un coude pour pouvoir contraindre l'ennemi et l'immobiliser à travers ses limites. Il y a donc une forme de connaissance importante qui dépasse les simples attentes de gagner ou perdre.


Le Qigong, lui, envisage davantage le combat intérieur dans la mesure où il s'agit d'une quête personnelle pour l'abolition de l'égo dans certaines écoles (Zhong Lü Dao de Wudang, Huashan, et tous les Qigong alchimiques, notablement), afin d'aboutir à un éveil spirituel (dissolution de la croyance en l'existence de son égo, développement de la sagesse, de la vision pénétrante mais aussi de la compassion)


Ce qui rapproche les deux disciplines ici est la notion d'affrontement, même si la domination n'est pas dirigée vers le même adversaire.


On attend du Qigong pour cet affrontement qu’il nous prépare à la méditation en permettant l’accalmie des pensées et en renforçant le corps pour le préparer à l’assise, qui est très exigeante physiquement, spécialement dans l'école de Shaolin. Et c’est précisément dans ce renforcement du corps qu’on va trouver le rapport à l’art martial, dans un premier temps très physique.

On augmente le renforcement des tendons et muscles pour une meilleure exploitation des Fa Li et des Fa Jin (sorties de force). On favorise la robustesse des os pour une meilleure résistance face aux coups, en formant des os plus épais et en les nourrissant d’onguent avant et après la pratique.


Le travail du Yi et du Qi, qui permet d’être plus efficace, en habituant le Qi progressivement à obéir à l’intention. Dans le travail martial, il en sortira plus facilement, mais surtout, l'Intention permettra progressivement d'utiliser bien plus de fibres musculaires et tendineuses que sans ce travail. Un peu comme une capacité d'auto-hypnose permettant de solliciter beaucoup plus de structures.

Les points de convergence :


La santé et le renforcement du corps :


Il ne faut pas sous-estimer le nombre de pratiquants et de maîtres d'arts martiaux qui ont commencé la pratique dans l'unique but de renforcer ou de recouvrer leur santé... Peu importe qu’il s’agisse d’avant ou après l’apparition des armes à feu qui -rappelons-le- a réorienté l'usage de la pratique martiale du pugilat vers la prophylaxie.


Cependant, pour réaliser à haut niveau l'art martial, il faut en amont posséder un corps qui soit pourvu d'un minimum de préparation, de solidité et de force. C'est pourquoi certaines écoles d'arts martiaux parlent de Yangsheng (entretien de la vie) en ce sens, davantage que dans la seule idée "énergétique".


Le Qigong renforce donc le corps autant que dans l’art martial, afin d’être puissant, et dans le Qigong, afin de supporter le reste du travail alchimique ou même d’être capable de recouvrer la santé. Ce ne sont pas les formes que l’on répète, ce sont les exercices qui s’apparentent à du Qigong, puisque le Qi est manœuvré par le biais de l’Intention, qui est une règle commune aux deux pratiques. Cette "harmonie" naturelle ne dépendant évidemment pas de la pratique, mais d'une loi de la vie.


Les effets et impacts :


Concernant les techniques des écoles de Shaolin, les Qigong de renforcement, appelé parfois « Qigong martial ou dur Yin Qigong » consistent souvent en l'utilisation de l'intention ( Yi 意) pour acheminer l’énergie jusqu'à certaines parties du corps pour les désensibiliser.


Une fois cette désensibilisation obtenue, le travail s’accompagne de préparations à base de plantes, et d’un travail progressif d’endurcissement des parties souhaitées, supervisé la plupart du temps par un médecin et/ou du maître. Quelques exemples de ces Qigong sont très connus : la chemise de fer, la paume de fer, la jambe de fer, les oeufs de fer...

Pour le Qigong martial des techniques taoïstes, c’est un peu différent, car on retrouve aussi l’usage des onguents, et autres préparations en pharmacopée chinoise, mais le Qigong martial est plus éthéré. Il repose davantage sur des procédés visuels, des postures statiques. De grandes différences résident par exemple entre la chemise de fer bouddhiste (Tie Bu Shan), et la chemise de fer taoïste qui est plus éthérée.


Il résulte de ces techniques très souvent la formation d'arthrose prématurée, et parfois une nécrose de tissus osseux, si l'encadrement n'est pas correct, selon la constitution de l'individu. D'autres pratiquants peuvent à contrario, vivre au contraire très bien la difficulté de ces exercices.


Le développement de soi et la spiritualité :


Beaucoup de maîtres avaient des affinités avec la spiritualité, c’est notamment le cas de Sun Lutang, de ma tradition, pour qui l’art martial n’était pas seulement un art de pugilat, mais aussi une façon de se transcender, de s’élever, et de mieux comprendre l'Univers dans lequel il évoluait.


Les arts martiaux chinois sont aussi conçus pour beaucoup par des moines, donc des pratiquants spirituels, qui imposent aussi l’idée du développement de soi à travers les formes pour la connaissance de soi et de son corps, et les applications martiales, ou encore le travail de proprioception tels que le Tuishou et les Chisao, les Roushou, etc…

Si l’on donne aux arts martiaux, et spécialement aux arts martiaux dits « civils » une notion de développement de soi qui dépasse les simples notions de gagner ou perdre un affrontement, l'on se retrouve avec un objectif commun.

La question des "harmonies" :


Dans la connaissance de l’énergie vitale que nous offrent les Chinois, qu’il s’agisse de médecine, de Qigong ou d’art martial, on trouve un aspect classique qui relie l’intention à l’énergie, qui elle-même va générer le mouvement et/ou la force musculaire.

Il faut aussi définir comment on travaille son Kung Fu, et les différences entre Nei Gong et Qigong.


Le Neigong étant un travail interne consistant lui aussi à développer des habiletés utilisables en combat ! Libérer son travail articulaire, additionner la force des tendons, empiler ses os pour en former une structure solide, etc...

Beaucoup de gens, déjà à partir du général Qi Jiguang, remettaient en cause l’efficacité des arts martiaux, par l’ajout trop systématique de techniques folkloriques. Et même si c’était un militaire avec toute son expérience de la guerre qui parlait, la remarque n’en reste pas moins vraie.


Cela n’a pas empêché les arts martiaux de se développer dans le sens du Folklore justement, avec l’émergence de boxes fantasques ou même, pour ne citer qu'elles, les pratiques de Wushu modernes. On s’imagine bien qu’on ne va pas à la guerre avec des pirouettes et des cabrioles.

Simultanément, bien des maîtres, à différentes périodes ultérieures de l’histoire de la Chine, vont se montrer d’accord avec Qi Jiguang, et vont plutôt essayer d’optimiser l’art du combat.

Certains styles ont essayé de ne pas dériver de leurs fondements, comme le Xinyi Liu He Quan, ou le Xinyi Ba qui n’ont pas de formes, mais plutôt des principes de boxe, et ont abouti à la création du Xing Yi Quan et du Yiquan.

Il est question alors, pour former de bons combattants, de retourner à l’étude des principes plutôt que d’apprendre des chorégraphies vides de travail interne, c’est-à-dire absentes du travail de l’épaississement des tendons, ou de la connaissance de l’empilement des os et du squelette.

Dans le Xing Yi Quan, un procédé fait un compromis entre les deux. Les enchaînements (taolus), sont conservés et étudiés comme des Ji Ben Gong, c’est-à-dire comme des exercices de base pour en saisir l'essence. Les 5 éléments et les 12 animaux de ce style sont vraiment à l’image de ce retour vers l’épuration : on répète sans arrêt des techniques simples.


Dans le Wing Chun, on considère que l’on peut faire la forme primordiale Siu Nim Tao très lentement, comme un Qigong. Elle est considérée alors comme tel par les spécialistes, notamment de la branche de Leung Ting.

Dans le Hongjia, on a le travail du dragon, la chemise de Fer de Lam Sai Wing, qui est un des rares exercices qu’on a la chance de pouvoir avoir codifié, etc…

Dans le style de Taiji Quan de Sun Lutang, chaque mouvement de son Taiji obéit à des points de concentration, et des exercices de Souffle (comprendre ici, le sens de Qi tel que donné par l’éminente Catherine Despeux) qui se déplace.

Il explique aussi point par point dans son Xing Yi Quan et dans son Bagua Zhang les incidences sur le corps, tirées de la médecine du Yijing.

Est-ce qu’avec la fin des besoins vitaux et primaires de l’art martial, c’est-à-dire de l’usage du Kung-Fu comme travail de convoyeur de fonds, de gardes du corps, de militaire ou d'escorteur de diligence, et la façon que le taiji a de travailler, le dénominateur commun des pratiques chinoises qu’est devenu la santé, ne serait pas que très récent ?

Encore une fois, la réponse est dans la nuance.

Tous les maîtres martiaux n’avaient pas forcément d’affinités avec le Qigong. D’autres pensaient que leurs Qigong se faisait en pratiquant leur Kung-Fu, et ce n’est pas une théorie farfelue si on admet que certains styles ont été conçus à la fois pour faire circuler l’énergie et à la fois pour avoir une application au combat. Cela est aussi dû au fait que les Chinois ne dissertent pas autant que nous, occidentaux, autour des concepts de l'énergie Qi, puisque c'est une partie intégrante de leur civilisation, et en possèdent donc moins le concept intellectuel.






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